Traitement de l'hépatite chronique C chez l'adulte
Recommandations de la Conférence de Consensus 2002
Jean-Baptiste Nousbaum
Service d'Hépato-Gastroentérologie, CHU la Cavale Blanche, Brest
Depuis la découverte du virus C en 1989, des progrès importants ont été accomplis dans le traitement de l'hépatite chronique C chez l'adulte. Ces progrès ont été de 2 ordres : en premier lieu l'association de l'interféron à un analogue nucléosidique, la ribavirine, et en deuxième lieu le remplacement de l'interféron standard par l'interféron pégylé (forme retard de l'interféron liée à du polyéthylène glycol).
Traitement des patients n'ayant jamais été traités
L'efficacité de l'interféron-a dans l'hépatite chronique virale C (nonA-nonB) a été mise en évidence dès 1986. L'interféron-a en monothérapie a été le traitement de référence jusqu'en 1997. Avec le schéma thérapeutique de 3 millions d'unités d'interféron-a 3 fois par semaine pendant 12 mois par voie sous-cutanée, une réponse virologique prolongée (RVP, définie par l'absence de détection de l'ARN viral sérique 6 mois après la fin du traitement) était obtenue chez 19% des malades traités tous génotypes confondus. Elle était de 5 à 10 % en cas d'infection par le génotype 1 et de 30 % pour les malades infectés par les génotypes 2 ou 3.
La premier progrès a été l'association de l'interféron à la ribavirine. Chez les malades n'ayant jamais été traités, le taux de RVP avec le traitement combiné était de 41 % contre 16 % avec l'interféron alpha seul (1). Le jury de la conférence internationale de consensus sur l'hépatite C en 1999 à considéré que le traitement de référence était l'interféron alpha 3 MUI 3 fois par semaine associé à la ribavirine quotidienne (2).
Compte tenu de la cinétique de réplication virale, des essais thérapeutiques d'induction (injections quotidiennes d'interféron à fortes doses) ont été réalisés. Les traitements d'induction améliorent le taux de réponse virologique en fin de traitement , mais sans effet significatif sur la RVP, si l'administration quotidienne d'interféron est inférieure à 3 à 6 mois
Une amélioration significative de l'efficacité du traitement anti-viral a été la pégylation de l'interféron. L'interféron pégylé est constitué par la conjugaison d'interféron standard à du polyéthylène glycol (PEG). Le processus de pégylation est utilisé en pharmacologie pour diminuer la clairance de certaines molécules et augmenter ainsi la demi-vie. Dans le cas de l'interféron pégylé alpha-2a, il s'agit d'un PEG branché dont le poids moléculaire est de 40 kDa. Dans le cas de l'interféron pégylé alpha-2b, il s'agit d'un PEG de 12 kDa. Ces différences dans la pégylation pourraient théoriquement modifier la pharmacocinétique et l'efficacité anti-virale des 2 molécules, mais à ce jour il n'existe pas de comparaison. L'objectif initial de la pégylation était d'améliorer la tolérance à l'interféron en obtenant des concentrations plasmatiques plus stables, mais il s'est avéré également que la réponse antivirale a été améliorée. L'efficacité de l'interféron pégylé peut être expliquée par les données cinétiques de réplication virale C. Le schéma d'administration comportant une injection trois fois par semaine est moins efficace que celui comportant une injection quotidienne pour abaisser précocement la charge virale et pourrait également favoriser l'apparition de mutants résistants. Un autre l'intérêt de la pégylation est de diminuer l'antigénicité de la protéine et de diminuer le risque d'échappement lié à l'apparition d'anticorps anti-interféron.
Deux grandes études contrôlées chez des malades n'ayant jamais été traités ont montré que l'interféron pégylé (alpha 2a ou alpha 2b) en monothérapie était plus efficace que l'interféron standard (alpha 2a ou alpha 2b) en terme de réponse virologique prolongée (3;4). Le taux de réponse virologique prolongée était environ 2 fois supérieur : il était de 39 % avec l'interféron pégylé alpha 2a à la dose de 180 mg par semaine contre 19 % avec l'interféron standard alpha 2a (3) et de 25 % avec l'interféron pégylé alpha 2b à la dose de 1,5 mg/kg/semaine contre 12 % avec l'interféron standard alpha 2b pendant 48 semaines (4).
La tolérance de l'interféron pégylé est comparable à celle de l'interféron standard avec moins de 10 % d'effets secondaires sévères, à l'exception des réactions cutanées au point d'injection et des effets secondaires hématologiques (neutropénie et thrombopénie) qui sont plus marqués avec l'interféron pégylé.
L'efficacité de l'interféron pégylé a été démontrée chez les malades au stade de cirrhose, dont les chances de réponse au traitement sont habituellement faibles avec l'interféron standard. Dans l'étude de Heathcote et coll., le taux de réponse virologique prolongé chez les malades ayant reçu de l'interféron pégylé alpha-2a à la dose de 180 mg par semaine pendant 48 semaines était de 30 % contre 8 % pour les malades ayant reçu de l'interféron standard à la dose de 3 MUI 3 fois par semaine pendant la même durée (5).
L'efficacité de la bithérapie associant interféron pégylé et ribavirine a été confirmée par 2 grandes études contrôlées randomisées. Un essai ayant inclus 1530 malades à montré la supériorité de l'association interféron pégylé alpha 2b-ribavirine sur l'association interféron standard-ribavirine (6). La RVP dans cette étude était significativement plus fréquente (54 %) chez les malades ayant reçu la bithérapie interféron pégylé à la dose de 1.5 µg/kg/semaine et ribavirine que chez les malades qui avaient reçu la bithérapie standard (47 %). Les malades infectés par le génotype 1 avaient une RVP de 42 % contre 82 % en cas d'infection par les génotypes 2 ou 3.
Des résultats comparables en terme d'efficacité ont été montrés avec une bithérapie comprenant de l'interféron pégylé alpha 2a à la dose de 180 µg/semaine. La RVP était de 56 % versus 45 % avec la bithérapie standard, tous génotypes confondus (7).
Le jury de la conférence de consensus française sur le traitement de l'hépatite C en 2002 a retenu comme traitement de référence (8): l'interféron pégylé alpha 2b à la dose de 1.5 µg/kg/semaine ou l'interféron pégylé alpha 2a à la dose de 180 µg/kg/semaine, associé à la ribavirine adaptée au poids (800 mg/j en dessous de 65 kg, 1000 mg/j entre 65 et 85 kg et 1200 mg/j au-delà). La durée de traitement est fonction du génotype : a) 48 semaines pour les infections liées à un génotype 1, 4, 5 ou 6, si la mesure de la charge virale à la 12ème semaine a montré une disparition ou une réduction de plus de 2 log de l'ARN viral initial ; b) 24 semaines pour les infections liées à un génotype 2 ou 3, par analogie avec la bithérapie interféron standard plus ribavirine et dans l'attente des résultats des études en cours. L'étude randomisée présentée par Hadziyannis et coll. au Congrès Européen à Madrid a confirmé que le taux de RVP n'était pas différent chez les malades infectés par le génotype 2 ou 3 selon qu'il étaient traités pendant 6 mois ou pendant 12 mois (9).
Traitement des malades rechuteurs ou non répondeurs après un premier traitement
Pour les malades rechuteurs après un premier traitement par l'interféron seul, le bénéfice d'un retraitement par interféron-ribavirine a été démontré, avec un taux de réponse virologique prolongée de 49 % contre 5 % pour un retraitement par l'interféron standard en monothérapie (10). Peu de données sont encore disponibles pour le traitement des malades ayant rechuté après une bithérapie associant l'interféron standard et la ribavirine.
Concernant les non-répondeurs à un traitement antérieur par l'interféron, le bénéfice d'un traitement combiné est faible et on estime la réponse virologique prolongée à environ 15 % (11;12). Chez les malades non répondeurs à la bithérapie standard, aucune étude n'a encore été publiée. Des essais de trithérapie associant interféron pégylé-ribavirine-amantadine sont en cours.
Indications thérapeutiques
Le traitement anti-viral est indiqué chez les malades atteints d'une infection chronique par le VHC ayant de l'ARN viral détectable dans le sérum. La décision d'entreprendre un traitement doit prendre en compte le degré de fibrose, l'évolutivité de l'hépatite et des facteurs individuels comme l'âge, les comorbidités, la consommation d'alcool, les manifestations extra-hépatiques et le désir du patient de se faire traiter. L'ensemble de ces éléments permet d'apprécier le rapport bénéfice/risque d'un traitement.
La bithérapie par interféron pégylé et ribavirine s'adresse : a) aux malades n'ayant jamais été traités et sans contre-indication au traitement. L'objectif du traitement étant de prévenir, de stabiliser voire de faire régresser les lésions hépatiques, le traitement anti-viral s'adresse aux malades ayant des signes d'hépatite chronique modérée ou sévère, définie par un score histopathologique METAVIR F2 ou F3, une cirrhose compensée (score METAVIR F4). Le bénéfice à long terme du traitement n'est pas établi chez les malades ayant des transaminases constamment normales ou des lésions d'hépatite chronique minime (score METAVIR F0 ou F1) ; une simple surveillance est recommandée dans ce cas et des études sont encore nécessaires. L'existence de manifestations extra-hépatiques dans le cadre d'une cryoglobulinémie justifie un traitement, même en l'absence de lésions hépatiques modérées ou sévères, puisque l'éradication virale est indispensable à l'éradication virale.
b) aux malades rechuteurs après monothérapie par interféron standard, cette situation devenant rare.
c) aux malades non répondeurs après monothérapie par interféron standard.
L'interféron pégylé en monothérapie s'adresse essentiellement aux malades ayant une contre-indication à la ribavirine. Il peut être proposé aux malades non répondeurs virologiques et ayant une fibrose extensive ou une cirrhose dans un but suspensif pour ralentir la progression de la maladie : cela n'est validé que chez les malades ayant une réponse biochimique.
L'efficacité du traitement anti-viral ne se limiterait pas à la stabilisation des lésions hépatiques. En effet, la réversibilité de la fibrose et de la cirrhose a été suggérée par plusieurs travaux récents. En reprenant les données de 4 principaux essais thérapeutiques ayant inclus 3010 malades, Poynard et coll. ont noté la régression des lésions de cirrhose chez 49 % des malades cirrhotiques répondeurs virologiques (75/153) (13).
En conclusion, la bithérapie interféron pégylé et ribavirine sera le traitement de référence de l'hépatite chronique virale C chez l'adulte pendant quelques années, en attendant que les nouvelles molécules anti-virales comme les inhibiteurs des enzymes virales soient développées.
Des questions sont encore posées concernant l'optimisation de cette bithérapie : durée optimale en fonction de la charge virale pré-thérapeutique et du génotype, dose et durée de traitement par la ribavirine. Ces questions sont essentielles pour réduire autant que possible les effets indésirables de ce traitement et améliorer l'observance qui conditionne l'efficacité à long terme.
REFERENCES
[1] Poynard T, Marcellin P, Lee SS, Niederau C, Minuk GS, Ideo G et al. Randomised trial of interferon alpha2b plus ribavirin for 48 weeks or for 24 weeks versus interferon alpha2b plus placebo for 48 weeks for treatment of chronic infection with hepatitis C virus. International Hepatitis Interventional Therapy Group (IHIT). Lancet 1998; 352:1426-1432.
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[9] Hadziyannis S, Cheinquer H, Morgan T, Diago M, Jensen DM, Sette H et al. Peginterferon alfa-2a (40 kD)(Pegasys) in combination with ribavirin (RBV): efficacy and safety results from a phase III, randomized, double-blind, multicentre study examining effect of duration of treatment and RBV dose. J Hepatol 2002 ; 36 : 3 (abstract).
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[13] Poynard T, McHutchison J, Manns M, Trepo C, Lindsay K, Goodman Z et al. Impact of pegylated interferon alfa-2b and ribavirin on liver fibrosis in patients with chronic hepatitis C. Gastroenterology 2002; 122:1303-1313.