1.1 Modifications de la biologie du virus de l'hépatite B
1.1.1 Diminution de fréquence du virus " classique " (ou virus " sauvage ") au profit de l'émergence des mutants antigène HBe négatifs .
La réplication du virus sauvage se traduit par la présence dans le sang de l'ADN viral B. En cas de réplication, l'antigène HBe est présent et l'anticorps HBe est absent. Lorsque la réplication virale disparaît (spontanément ou sous l'influence d'un traitement), l'antigène HBe se négative, les anticorps antiHBe apparaissent, les transaminases se normalisent. De plus en plus fréquemment, nous avons affaire à un virus qui présente des mutations dans la région préC de son génome (on l'appelle " mutant pré-C " ou " mutant AgHBe négatif "). Ce mutant ne synthétise pas d'antigène HBe. Lorsqu'il se réplique de façon active, l'antigène HBe est négatif. La fréquence de ces mutants est extrêmement importante dans les pays de l'Europe du Sud (par exemple, en Grèce elle est de 90 %) et atteint 10 à 30 %) en Europe du Nord et aux Etats-Unis.
Il est possible d'être infecté d'emblée par un mutant HBe négatif (il semble que la fréquence des hépatites fulminantes soit alors augmentée) mais dans la grande majorité des cas ce mutant émerge lors de l'évolution d'une infection à virus sauvage sous l'influence de la pression de sélection immunologique (cette émergence peut être facilitée par un traitement). Ce mutant modifie profondément l'évolution de la maladie car il est souvent associé à une fibrose sévère. Il évolue volontiers sous forme de réactivations, et il rechute de façon quasi constante après traitement. Deux implications pratiques : (i) Ne plus se fier à l'antigène HBe pour le diagnostic de réplication qui repose sur l'ADN viral circulant ; (ii) Traiter la maladie avant l'émergence des mutants résistants.
1.1.2 Techniques de détection de l'ADN viral
Il y a quelques années nous ne disposions que des techniques d'hybridation moléculaire. Actuellement existent des méthodes de PCR qui permettent de détecter des réplications de très faible niveau. S'il est indubitable que ces techniques peuvent avoir de l'intérêt dans la compréhension de la maladie, elles ne simplifient pas la tâche du clinicien. En effet, la moitié des " porteurs sains " du virus (dont on rappelle que la définition associe présence de l'Ag HBs, normalité des transaminases, et absence d'ADN viral circulant) ont une PCR positive. La positivité isolée de la PCR n'est pas un argument de traitement. Pour simplifier, il faut se limiter en routine aux techniques d'hybridation moléculaire.
1.2 Modifications de la présentation clinique des malades
1.2.1 Il est important de se rappeler que l'hépatite chronique virale B évolue classiquement en 3 phases successives :
La phase I comporte une forte réplication virale et une cytolyse. La phase II comporte des fortes fluctuations des valeurs de transaminases et de l'ADN viral qui reste positif de façon constante. La durée de cette phase est variable, elle se termine (souvent après un pic de transaminases plus élevé) par la disparition complète de la réplication, la disparition de l'antigène HBe avec apparition d'anticorps, conduisant à l'arrêt de la réplication virale et à la normalisation des anticorps. L'incidence annuelle de séroconversion HBe est de 5-15 %. La phase III survient chez certains malades et se marque par des épisodes de réactivation d'allure aiguë spontanément résolutifs. A ce stade, la fréquence de la cirrhose est importante. Lorsque les épisodes de réactivation sont fréquents et sévères, la maladie s'aggrave et certains de ces épisodes peuvent être responsables de décès par insuffisance hépato cellulaire. C'est à ce stade que les mutations sont fréquentes.
1.2.2 La vaccination de masse et la prévention systématique des contaminations materno-fœtales diminuent l'incidence des nouvelles infections. Ainsi, beaucoup de malades nouvellement diagnostiqués ont été infectés il y a longtemps
Il faut donc être vigilant devant un épisode d'allure aiguë pour ne pas méconnaître ce qui est en fait une réactivation. L'implication pratique de ceci est importante car il faut faire une biopsie hépatique (alors même que les transaminases se sont normalisées et l'ADN négativé) en cas de réactivation du fait de la fréquence des cirrhoses sous-jacentes. Les indications thérapeutiques sont difficiles à prendre chez ces malades en phase III car souvent l'épisode de réactivation disparaît spontanément avant que le traitement ne soit mis en route. Il n'y a aucune étude permettant de dire si un traitement systématique évite la survenue de nouveaux épisodes.
1.3 De nouveaux traitements sont disponibles
1.3.1 L'interféron alpha
En cas d'infection à virus sauvage, il doit être utilisé à une posologie plus importante que dans l'hépatite chronique C et les protocoles utilisent le plus souvent un traitement allant de 5 MU tous les jours à 10 MU, 3 fois par semaine, pendant une période de 4 à 6 mois. Dans ces conditions, la fréquence des séroconversions HBe (amenant la normalisation des transaminases) est de 30-40 % et la fréquence de négativation de l'antigène HBs est de 10%. Lorsque le traitement a permis d'obtenir la séroconversion HBe, les rechutes à l'arrêt du traitement sont rares (5-10 %). Les facteurs de résistance au traitement sont bien connus (cirrhose ; immunotolérance marquée par une élévation peu marquée (< 2N) des transaminases et une faible activité histologique ; forte charge virale).
En cas de mutation pré-C Ag HBe négatif, la réponse à l'interféron est bonne mais la rechute à l'arrêt du traitement survient dans plus de 80% des cas. Dans la mesure où la proportion de ces malades augmente, l'efficacité de l'interféron devient moins bonne qu'elle ne l'était il y a quelques années : on estime que seulement 15 à 20% des malades traités vont avoir une réponse prolongée.
1.3.2 La lamivudine
Est un analogue nucléosidique, actif per os, commercialisé sous le nom de Zeffix ® (cp dosés à 100 mg). Il n'a pas d'effet secondaire significatif et le traitement est parfaitement supporté. L'effet d'un traitement de 12 mois (100 mg/J en une prise), chez les malades AgHBe positifs, est bien étudié dans une étude asiatique et une étude nord-américaine : l'efficacité initiale du traitement est excellente puisque les malades vont presque tous négativer l'ADN viral et normaliser leurs transaminases. Par contre, surviennent des mutations virales dans le gène de la polymérase (mutation YMDD) qui vont entraîner une résistance à la lamivudine responsable de la réapparition de l'ADN viral avec remontée des transaminases. La fréquence de ces mutations augmente avec la durée du traitement : elle est de 17 % à un an. La fréquence de négativation de l'antigène HBe est de 30 %, la fréquence de séroconversion HBe (disparition de l'antigène et apparition de l'anticorps) est de 16 %. La négativation de l'antigène HBs est exceptionnelle. La séroconversion HBe est d'autant plus fréquente que les transaminases avant traitement sont élevées (65 % si le taux d'ALAT pré-thérapeutique est supérieur à 5N, 25 % si les ALAT avant traitement sont comprises entre 2 et 5N, 5% si les ALAT avant traitement sont inférieures à 2N ce qui n'est pas différent des chiffres obtenus dans le groupe placebo). La charge virale préthérapeutique et la fibrose ont beaucoup moins d'influence sur l'incidence des séroconversions. Lorsqu'on arrête le traitement, l'efficacité n'est durable (85 % des cas) que chez les malades qui ont perdu l'Ag HBe ou qui ont présenté une séroconversion (ceci semble cependant discuté dans certains articles récents). Dans la négative, la rechute est constante et rapide. Dans 5 % des cas, les rechutes se présentent sous la forme d'une poussée aiguë avec ictère ce qui peut être dangereux en cas de cirrhose évoluée. La rechute est probablement due en partie à l'inefficacité de la lamivudine sur une forme particulière d'ADN viral intra cellulaire (qui est l'ADN dit " super-enroulé " ou " cccDNA "). Lorsqu'on prolonge le traitement au delà de 12 mois, il semble que le taux de séroconversion HBe augmente mais aussi la fréquence des mutations YMDD de résistance (50 % à 3 ans). Malgré tout, le pouvoir de réplication du mutant YMDD est inférieur à celui du virus sauvage, ce qui se traduit par un taux d'ADN viral et de transaminases moins élevé qu'avant le démarrrage du traitement.
En cas de virus AgHBe négatif avant traitement, l'efficacité du traitement est identique à celle du sauvage mais la rechute à l'arrêt du traitement est de plus de 85%.
1.3.3 Autres développements :
L'association Interféron-Lamivudine ne semble pas efficace. Par contre (dans une étude méthodologiquement critiquée), il a été suggéré que lorsqu'on débutait l'interféron quelques semaines après le démarrage de la lamivudine on pouvait en augmenter l'efficacité. Ceci est à évaluer. La précession de la lamivudine par une cure courte de corticoïdes pourrait également avoir de l'intérêt lorsque les transaminases sont inférieures à 2N (on se rappelle que ceci avait également été discuté avec l'interféron…).
Plusieurs autres analogues nucléosidiques ont été étudiés. Le Famcyclovir est décevant car il a une faible activité en monothérapie et il n'est pas actif sur les mutants YMDD. Le plus prometteur actuellement est l'Adefovir et une étude multicentrique est en cours chez les mutants YMDD.