Les interférons pégylés (format PDF)
La bithérapie par interféron et ribavirine est actuellement le traitement de référence de l’hépatite chronique C (1,2), mais 60 % des malades ne répondent pas ou rechutent après le traitement. En attendant d'autres anti-viraux, le renforcement du traitement par l'interféron est une option pour augmenter les chances de réponse virologique (3).
Le traitement par interféron pégylé augmente significativement les chances de réponse prolongée. Après un rappel sur le principe de la pégylation, les résultats des études en monothérapie et en bithérapie sont présentés.
La pégylation
L'interféron pégylé est constitué par la conjugaison d'interféron standard à du polyéthylène glycol (PEG). Le processus de pégylation est utilisé en pharmacologie pour diminuer la clairance de certaines molécules et augmenter ainsi la demi-vie. Dans le cas de l’interféron pégylé alpha-2a (Pegasys® , produit par la compagnie Roche), le poids moléculaire du PEG est de 40 kDa. Dans le cas de l’interféron pégylé alpha-2b (ViraféronPeg® , produit par la compagnie Schering-Plough), le poids moléculaire du PEG est de 12 kDa. Ces différences dans la pégylation pourraient théoriquement modifier la pharmacocinétique et l’efficacité anti-virale des 2 molécules, mais à ce jour il n’est pas possible de les comparer. L'objectif initial de la pégylation était d'améliorer la tolérance à l'interféron en obtenant des concentrations plasmatiques plus stables, mais il s'est avéré également que la réponse antivirale a été améliorée. Ce dernier objectif n'était pas garanti puisque l'augmentation de la demi-vie aurait pu diminuer l'efficacité antivirale de l'interféron. L'efficacité de l'interféron pégylé peut être expliquée par les données cinétiques de réplication virale C. Le schéma d’administration comportant une injection trois fois par semaine est moins efficace que celui comportant une injection quotidienne pour abaisser précocement la charge virale (3) et pourrait également favoriser l'apparition de mutants résistants. Un autre l'intérêt de la pégylation est de diminuer l'antigénicité de la protéine et de diminuer le risque d’échappement lié à l’apparition d’anticorps anti-interféron.
Etudes contrôlées en monothérapie avec l’interféron pégylé
a) Interféron pégylé alpha-2a
Les résultats de l'étude de Zeuzem et al. (4) ainsi que celle de Heathcote et al. (5) ont été publiées dans le même numéro du New England Journal of Medicine. Dans la première étude, Zeuzem et coll. (4) ont comparé l’efficacité de l’interféron pégylé alpha 2a à celle de l’interféron alpha-2a seul. Ils ont randomisé 531 malades en deux groupes, l'un recevant 180 µg de Peginterféron alpha-2a par voie sous-cutanée une fois par semaine pendant 48 semaines (267 malades), l’autre recevant 6 millions d'unités d’interféron alpha-2a par voie sous-cutanée 3 fois par semaine pendant 12 semaines, puis 3 millions d'unités 3 fois par semaine pendant 36 semaines (264 malades). Dans le groupe interféron pégylé, 223 malades ont terminé le traitement et 206 ont été suivis jusqu'à la 72e semaine, tandis que dans le groupe traité par interféron seul, cent soixante et un malades ont terminé le traitement et 154 ont atteint la fin de la période de suivi. Dans l'analyse en intention de traiter, l'interféron pégylé était associé à une réponse virologique plus importante que l'interféron alpha-2a à la fin du traitement (69 % contre 28 %, p = 0,001) et à la 72ème semaine (39 % contre 19 %, p = 0,001). En ce qui concerne la tolérance, celle-ci était identique dans les 2 groupes. En particulier, une dépression est survenue chez 16 % des malades traités par interféron pégylé et chez 23 % des malades traités par interféron alpha-2a. Les troubles psychiatriques sévères (dépression sévère, psychose) sont survenus chez 6 et 4 malades respectivement. Moins d’un pour cent des malades a dû arrêter le traitement pour anomalie biologique ; une neutropénie inférieure à 500/mm3 est survenue plus fréquemment dans le groupe traité par interféron pégylé (12 malades vs 4 malades). L’analyse multivariée a montré que les facteurs prédictifs de meilleure réponse étaient : un génotype différent de 1, un taux d'ALAT supérieur à trois fois la limite supérieure de la normale avant traitement, une charge virale initiale inférieure à 2 millions de copies par ml, le traitement par interféron pégylé, une surface corporelle inférieure à 2 m2, l'absence de fibrose extensive ou de cirrhose et un âge inférieure ou égal à 40 ans. Il est intéressant de noter que l'efficacité de l'interféron pégylé était nettement accrue chez les malades infectés par le génotype 1 (28 % de réponse virologique prolongée chez les malades traités par interféron pégylé contre 10% chez les malades traités par interféron alpha standard) et également chez les malades atteints de fibrose extensive ou de cirrhose (45 % de réponse virologique prolongée avec l'interféron pégylé).
Dans le 2ème article de ce même numéro, Heathcote et collaborateurs (5) décrivent un sous-groupe de malades dont la condition est difficile à traiter. Deux cent soixante et onze malades avec une fibrose extensive ou une cirrhose ont été randomisés en trois groupes : le premier groupe recevant 3 millions d'unités d'interféron alpha-2a 3 fois par semaine (88 malades), le deuxième groupe recevant 90 µg d'interféron pégylé alpha-2a une fois par semaine (96 malades), le troisième recevant 180 µg d'interféron pégylé par semaine (87 malades). Les critères d'inclusion comportaient un taux de polynucléaires neutrophiles supérieur 1500 par mm³ et un taux de plaquettes supérieur à 75.000 /mm³. Dans l'analyse en intention de traiter , l'ARN du virus C était indétectable six mois après la fin du traitement chez 8%, 15 % et 30 % des malades traités respectivement par interféron standard, interféron pégylé 90 µg ou 180 µg (p = 0,001). De plus il existait une amélioration histologique (définie par une diminution d'au moins 2 points du score de Knodell) chez 31 % , 44 % et 54 % des malades respectivement. La tolérance était comparable dans les trois groupes. Aucun des malades traités par interféron pégylé à la dose de 90 µg ou de 180 µg par semaine n'a arrêté le traitement en raison d'une neutropénie; environ 3 % ont arrêté le traitement à cause d'une de thrombopénie. Au total, environ 10 % des malades ont dû arrêter le traitement en raison d'effets indésirables.
b) Interféron pégylé alpha-2b
L’étude contrôlée de l'lFN-PEG alpha-2b conduite par Trépo et coll. (6) a inclus 1219 patients. Il s’agissait d’une étude avec recherche de dose efficace et les malades ont été randomisés en 4 groupes : un groupe recevant de l'IFN alpha-2b à la dose de 3 MU 3 fois par semaine pendant 48 semaines et trois groupes recevant de l'lFN-PEG alpha-2b à la dose de 0,5 ou 1 ou 1,5 µg/kg/semaine pendant 48 semaines. Deux tiers des malades étaient infectés par le génotype 1 et près de ¾ des malades avaient une virémie supérieure à à 2 millions Eq génome/ml.
Les taux de réponse virologique prolongée étaient globalement de 12% pour l'IFN standard contre 25% pour l'IFN-PEG alpha-2b à la dose de 1 µg/kg (p=0,001). Les taux de réponse pour l'lFN-PEG alpha-2b à la dose de 1 ou 1,5 µg/kg/semaine étaient équivalents (25 % et 23 % respectivement); pour l'lFN-PEG alpha-2b à la dose de 0,5 µg/kg/semaine le taux de réponse était de 18 % mais sans différence significative.
En cas d’infection par le génotype 1, le taux de réponse était de 6 % pour l'IFN standard contre 14 % pour l'IFN-PEG alpha-2b à la dose de 1 ou 1,5 µg/kg/semaine. En cas d’infection par les génotypes 2 ou 3, les taux de réponse étaient respectivement de 28 %, 47 % et 49 %. Le profil de tolérance était comparable à celui de l’IFN alpha-2b. Le traitement était arrêté chez 6 % des malades traités par IFN alpha-2b, et chez 9 %, 11 % et 9 % des malades traités par l'lFN-PEG alpha-2b à la dose de 0,5, 1 ou 1,5 µg/kg/semaine.
Etudes contrôlées en bithérapie avec l’interféron pégylé
Les résultats de l'étude de la bithérapie avec le PegIFN alpha-2b ont été présentés par Manns (7) lors du dernier congrès de l'AASLD (l’Association américaine pour l’étude du foie) mais ne sont pas encore plubliés. Celle étude contrôlée a inclus 1530 malades randomisés en 3 bras: a) PegIFN alpha-2b, 1,5 µg/kg/sem et ribavirine 800 mg/j pendant 48 semaines (n=505) ; b) PegIFN alpha-2b, 1,5 µg/kg/sem (4 semaines) puis 0,5 µg/kg/sem (44 semaines) et ribavirine (1000-1200 mg/j pendant 48 semaines) (n=514) ; c) IFN alpha-2b (3 MU x 3/sem) et ribavirine (1000-1200 mg/j) pendant 48 semaines (n=511). Le critère principal de jugement était la réponse virologique 24 semaines après la fin du traitement. Plus de 2/3 des malades (68 %) étaient infectés par le génotype 1 et 68 % des malades avaient une charge virale élevée (> 2 millions de copies/mL).
Les taux de réponse virologique prolongée étaient globalement de 54 % chez les malades ayant reçu la bithérapie avec le PegIFN alpha-2b à la dose de 1,5 µg/kg/sem contre 47 % chez les malades ayant reçu la bithérapie standard ou la bithérapie avec le PegIFN alpha-2b à la dose de 0,5 µg/kg/sem (p=0,01). L’amélioration de ces taux de réponses est essentiellement au profit des malades infectés par le génotype 1 (42% avec la bithérapie PegIFN 1 ,5 µg/kg/sem contre 34% et 33% pour la bithérapie standard ou la bithérapie PegIFN 0 ,5 µg/kg/sem) (p=0,02), alors qu’il n’y avait pas de différence significative pour les génotypes 2 et 3 entre la bithérapie PegIFN + ribavirine et la bithérapie standard.
En ce qui concerne la tolérance, il existait plus fréquemment des signes cutanés inflammatoires au point d'injection chez les malades traités par PegIFN. Une neutropénie a été observée plus fréquemment qu'avec l'IFN standard, conduisant à réduire plus fréquemment la dose mais sans complication. Le pourcentage d’arrêt de traitement était de 14 % dans le groupe traité par PegIFN à la dose de 1,5 µg/kg/sem contre 12 % dans le groupe IFN standard (NS).
Conclusion
Ces études apportent plusieurs messages encourageants : d'une part que le groupe de malades infectés par le génotype 1 (le génotype le plus prévalent en Europe et en Amérique du Nord) autrefois difficile à traiter peut espérer à présent des chances raisonnables de réponse virologique, d'autre part que les malades cirrhotiques, quelque soit leur génotype viral, peuvent être améliorés durablement, et enfin que même en l'absence de réponse virologique ou de réponse biochimique complète, une réponse histologique peut être obtenue avec une diminution de l'activité inflammatoire.
L’interféron pégylé alpha-2b est actuellement disponible pour les les malades ayant une contre indication à la ribavirine. En ce qui concerne la bithérapie, les résultats de l’étude Manns et coll. devraient déboucher sur une prochaine autorisation de mise sur le marché.
Texte rédigé d’après la communication de J.B. Nousbaum du 19/01/01. Réunion du Réseau Hépatite Bretagne à l’occasion de la réunion d’hépatologie de l’Ouest.
1 - McHutchison JG, Gordon SC, Schiff ER, et al. Interferon alfa-2b alone or in combination with ribavirin as initial treatment for chronic hepatitis C. N Engl J Med 1998 ; 339 : 1485-92.
2 - Poynard T, Marcellin P, Lee SS, et al. for the International Hepatitis Inteventional Therapy Group. Randomised trial of interferon a2b plus ribavirin for 48 weeks or for 24 weeks versus interferon a2b plus placebo for 48 weeks for treatment of chronic infection with hepatitis C virus. Lancet 1998; 352: 1426-32.
3 - Neumann AU, Lam NP, Dahari H, et al. Hepatitis C viral dynamics in vivo and the antiviral efficacy of interferon-alpha therapy. Science 1998 ; 282 : 103-7.
4 - Zeuzem S, Feinman SV, Rasenack J, et al. Peginterferon alfa-2a in patients with chronic hepatitis C. N Engl J Med 2000 ; 343 : 1666-72.
5 - Heathcote EJ, Shiffman ML, Cooksley WGE, et al. Peginterferon alfa-2a in patients with chronic hepatitis C and cirrhosis. N Engl J Med 2000 ; 343 : 1673-80.
6 - Trépo C, Lindsay K, Niederau C, et al. for the Hepatitis Interventional Therapy Group. Pegylated interferon alfa-2b (PEG-Intron) monotherapy is superior to interferon alfa-2b (Intron A) for the treatment of chronic hepatitis C). J Hepatol 2000 ; 32 (Suppl. 2) : 29 (Abstract).
7 - Manns MP, McHutchison JG, Gordon S, et al. Peginterferon alfa-2b plus ribavirin compared to interferon alpha2b plus ribavirin for the treatment of chronic hepatitis C : 24 week treatment analysis of a multicenter, multinational phase III randomized controlled trial. Hepatology 2000 ; 32 (Suppl.) : 297A (Abstract).